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[INTERVIEW] Vincent Mathieu, « Sur les voix de l’introspection… »
Vincent Mathieu était présent à Scubaland, les 22 et 23 Décembre 2018, pour animer un stage d’apnée statique, une discipline dans laquelle il excelle. À cette occasion, Le Petit Plongeur est parti à la rencontre de ce profil atypique et amoureux de l’apnée.
Depuis son enfance, Vincent s’est toujours senti connecté à la nature. C’est donc en toute logique qu’il est devenu diplômé en Protection de l’environnement et licencié d’Océanographie. Aujourd’hui, cet hyperactif transmet ses aspirations et ses valeurs au travers de stages de formation à l’apnée qu’il organise un peu partout dans le monde.
En plus d’être un athlète complet (1 x Champion du monde, 2 X Vice-Champion du monde, 3 X Records de France dans deux disciplines différentes, 100m en CWT et FIM et bien plus encore en entrainement), Vincent est instructeur d’apnée professionnel (DEJPES – l’un des deux diplômes français reconnu pour l’enseignement de l’apnée à titre rémunéré), Moniteur Fédéral 2 (FFESSM), ainsi que pour d’autres agences (CMAS, AIDA, SSI).
Rencontre avec Vincent Mathieu, Champion du Monde d’apnée statique et instructeur professionnel passionné.
Vincent MATHIEU et son amour pour l’apnée
Le Petit Plongeur : Bonjour Vincent, tout d’abord, comment as-tu découvert la plongée en apnée ? Il y a combien de temps maintenant ?
Cela peut paraître cliché, mais j’ai découvert l’apnée il y a environ 5 ans, à travers les yeux de Luc Besson et sa scénarisation poétique du film le Grand Bleu. J’ai été complètement séduit par la dimension enivrante et sensorielle de la discipline.
Ce qui me passionne dans l’apnée, c’est avant tout la dimension sensorielle et introspective. – Vincent Mathieu
J’ai alors tenté l’expérience… Première séance et 5 minutes d’apnée statique plus tard, j’étais conquis ! J’ai tout de suite senti que j’avais ça en moi. Durant cette période, j’étais en formation pour devenir professionnel de l’enseignement en plongée en scaphandre. L’apnée ayant happé toute mon attention, je n’ai même jamais fait une saison complète en tant que moniteur de plongée en scaphandre.
Le Petit Plongeur : Qu’est-ce qui te passionnes le plus dans ce sport ?
Ce qui me passionne, c’est avant tout la dimension sensorielle et introspective. L’apnée est une école de vie qui présente une plateforme de développement personnel et spirituel incroyable.
C’est une école philosophique propice à la réflexion. Je crois fermement qu’à travers cette discipline nous pouvons tous nous améliorer en tant qu’être humain, évoluer et faire sortir ce qu’il y a de meilleur en nous.
La recherche inhérente au travail de progression et d’adaptation est elle aussi passionnante. En effet, à un certain niveau de pratique, les méthodes d’entraînement et approches deviennent de plus en plus personnelles. Nous avons la chance de pratiquer une discipline jeune ou nous participons à la construction de sa connaissance. Nous sommes constamment dans la recherche : réfléchir, émettre des hypothèses, tester de nouvelles choses, inventer… C’est passionnant !
Après, si l’on reste sur un plan purement pratique, je vote pour le plaisir et l’intensité des sensations. C’est bien plus intense, profond et jouissif que toutes les expériences sensorielles que j’ai pu expérimenter auparavant.
Le Petit Plongeur : Durant l’immersion sous-marine, à quoi penses-tu ?
Tout va dépendre de la discipline que je pratique. En apnée statique, je ne pense pas. En effet, je suis concentré sur les battements de mon cœur pour tenter d’en contrôler le rythme et de le ralentir. Je visite mon propre corps pour tenter d’en comprendre son fonctionnement et ses subtilités. C’est de l’introspection à l’état pur.
Lors de plongée en profondeur, encore une fois, je ne pense pas. Je laisse la place à l’instinct et au plaisir… Surtout au Plaisir ! Je suis concentré sur le moment présent afin d’apprécier à sa juste valeur le cocktail sensoriel d’une intensité extraordinaire que nous offre l’océan.
Lors d’exploration, je suis tout simplement en contemplation. Encore une fois présent sur l’instant, mais cette fois afin de pouvoir apprécier les mystères, la beauté et la magnificence du monde sous-marin.
Sa ou ses disciplines de prédilection ?
Le Petit Plongeur : Outre l’apnée statique dont tu as été champion du monde en 2016, tu es un des rares apnéistes à être capable de performer tant dans les disciplines Indoor qu’Outdoor. Suis-tu un entraînement spécifique pour développer tes capacités ?
Mon style de vie quelque peu nomade et détaché me contraint à m’adapter régulièrement à de nouvelle situation. Quand je suis en France, je me focalise sur les entraînements en piscine et quand je suis à l’étranger, sur la profondeur.
Cette instabilité géographique fait qu’il m’est presque impossible de planifier une saison complète en vue d’un objectif précis. Pour la profondeur, ma période d’entraînement régulier la plus longue a été 3 mois, pour la piscine plutôt 6 à mes débuts quand je ne m’adonnais pas encore à la verticalité. Du coup, il me faut improviser.
Lorsque je suis à l’étranger, je ne pratique le statique presque qu’exclusivement à sec. Pour la profondeur, lorsque j’ai la chance de m’y adonner, je m’attache à construire des adaptions durables afin de ne pas reprendre à zéro à chaque fois. Les étirements spécifiques m’aident à conserver une partie de mon adaptation et de ma flexibilité lors des longues périodes loin de la mer.
Le Petit Plongeur : Quel est ton équipement pour la plongée en apnée ?
Pour l’apnée statique, j’utilise la LABRAX de Espealon en 7 mm (et oui je suis frileux ^^). Cette combinaison est tout simplement extraordinairement souple pour une combinaison de cette épaisseur. Le confort est optimal et il n’y aucune résistance à la ventilation, ce qui représente un avantage considérable lorsque l’on carpe au maximum.
Pour la profondeur j’utilise la (désormais) très célèbre combinaison ABYSS 2.0 de Epsleaon. Cette combinaison compte déjà plusieurs records mondiaux et nationaux à son actif. Pour moi, c’est tout simplement la combinaison la plus performante que j’ai eu l’occasion de tester. Elle épouse parfaitement l’épiderme devenant presque étanche et sa flexibilité est inégalée.
En profondeur, j’utilise aussi l’ordinateur de plongée Suunto D6i qui est un élément indispensable à ma sécurité. Sans rentrer dans les détails, les alarmes et les possibilités de configuration me son essentiel pour mon approche de l’adaptation à la pression et à la narcose. De plus, son logiciel d’analyse et de visualisation des profils de plongée me permettent une autocritique fine post plongée. Cela me permet d’identifier les irrégularités souvent liées à un manque d’efficience technique.
Ses expériences personnelles
Le Petit Plongeur : Tes plus beaux souvenirs en plongée libre (un spot, une rencontre particulière…) ?
Plutôt que de vous parler de mon plus beau souvenir, je vais vous raconter l’expérience la plus marquante que j’ai vécu en apnée.
Cette aventure est bien la preuve que nos réactions sont complètement conditionnées par nos croyances et a priori. – Vincent MATHIEU
C’était à Amorgos en Grèce. Cette petite île à l’atmosphère magique est bien connue des apnéistes pour les quelques scènes mythique du film le Grand Bleu qui y ont été tournées. Je ne préciserai pas l’endroit exact de cette rencontre, mais comprenez juste que la créature que j’ai croisé n’aurait jamais dû se trouver à cet endroit. ?
Une de ses plus belles rencontres…
Le soleil était encore très haut dans le ciel, la zone était pauvre en poissons et nourriture potentielle, le site peu profond remontant jusqu’à un haut-fond débouchant sur une passe exigüe… J’étais en train de jouer dans une cavité à environ 15m de profondeur quand en levant la tête, j’aperçu un superbe requin passer devant l’entrée de celle-ci. Mon cœur fut comme saisi, j’ai ressenti des frissons me parcourir le corps entier… Cette apparition de quelques secondes restera gravée dans ma mémoire à tout jamais. Cela ne faisait aucun doute, c’était un jeune blanc d’environ 2,5m.
M’interrogeant sur sa présence : Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? Je me suis senti en insécurité. Ainsi, je décidai d’effectuer une dernière apnée pour détacher la bouée que j’avais amarrée et repartir sur la rive. Je pris mon inspiration max avant apnée, tournai la tête sur la gauche, et vis une gueule énorme à moins de deux mètres se rapprocher… j’ai paniqué. En une fraction de seconde, toutes les représentations fantasmagoriques que j’ai pu lire dans des articles de presse ou sur internet me sont remontées en tête. J’ai nagé en arrière vers la rive en lui faisant face. Je crois l’avoir heurté avec une de mes palmes. Je vous épargne les détails de la fin de cette histoire qui comporte de multiples péripéties, mais une fois de retour sur la rive, j’étais en état de choc. Mes pupilles étaient complètement dilatées, je tremblais comme une feuille.
Je trouve cette rencontre très intéressante du point du vue psychologique. Nous savons tous que les requins n’attaquent jamais de front, mais toujours en angle mort. Celui-ci était juste curieux. J’ai probablement loupé une occasion de créer une interaction rare avec cette espèce.
Cette aventure (ou mésaventure, je ne sais pas trop) est bien la preuve que nos réactions sont complètement conditionnées par nos croyances et a priori. Que se soient les requins ou les animaux en général, aucun n’est volontairement dangereux. Leurs comportements que nous qualifions « d’agressifs » ne sont que réponse à une peur, un mécanisme de défense ou de protection, ou encore de la curiosité. La communauté s’attache à déifier l’être humain en disant que les animaux n’ont pas de conscience… Ainsi, pourquoi attaquerait-il l’homme volontairement ou encore même pour le plaisir. C’est contradictoire.
Chaque humain qui pénètre dans un environnement ou un territoire qui n’est pas le sien s’expose à des risques. Chacun est responsable de s’y introduire ou non.
Le Petit Plongeur : D’autres projets sportifs personnels à venir ?
Du point de vue sportif, mes objectifs en apnée sont les mêmes qu’à mes débuts. Continuer de progresser à mon niveau et de voir ou cela m’emmènera : pas d’objectif chiffré, me faire plaisir avant tout est mon credo.
Cependant, je rêverai de devenir athlète professionnel. Lorsque je vois le niveau que je peux atteindre en tant que simple amateur et toutes les contraintes que cela représente, cela me frustre quelque peu de ne pas pouvoir développer pleinement mon potentiel. Je serais curieux de voir jusqu’où cela pourrait m’emmener.
Pour cette nouvelle saison, mon souhait est aussi de faire une retour à ma première passion, l’art du combat.
Le métier d’instructeur de plongée en apnée
Vincent partage sa passion un peu partout dans le monde par l’intermédiaire de rencontres ou de stages qu’il organise autour de modules thématiques alternant étirements, cours théoriques, entraînements croisés et alternatifs, et pratiques spécifiques dans l’eau. Son approche singulière, basée sur la capacité à ressentir les messages du corps et à les comprendre, fait de lui une référence dans l’approche introspective de l’apnée. Outre sa spécialité en apnée statique, il est également un fin technicien dans le domaine de la verticalité et de l’optimisation de la compensation.
Le Petit Plongeur : Quel est ton parcours avant d’être devenu instructeur ?
Cela serait un peu long à expliquer, mais sachez juste que mon attirance pour l’apnée vient d’une envie de m’extraire d’un monde que je considère de plus en plus dopé à la publicité et aux filtres Instagram. L’apnée est une activité pure et sans artifice dans sa pratique.
Si vous souhaitez en connaitre un peu plus à mon sujet et mon parcours, je vous invite à découvrir le livre Apnée Spirit parue au édition Flammarion en Septembre dernier. J’y conte les raisons qui m’ont amené à l’apnée, ce que cela m’apporte et ce que tout le monde peut y trouver.
« Quelques soient les questions que vous vous posez dans votre vie, l’apnée vous apportera des réponses… »
Le Petit Plongeur : Qu’est-ce qui t’a motivé à faire de l’apnée ton métier ?
Nous vivons dans un monde où la majorité cherche simplement à « faire du fric » ou encore à « devenir populaire ou célèbre »… J’ai l’impression de vivre dans un monde complètement absurde parfois. Je suis tous simplement incapable de rentrer dans ce type schéma là. Je ressent le besoin de donner un sens à mon métier. Alors quel plus beau métier du monde que de vivre en partageant ce que l’on aime ?
De plus, les rencontres, les échanges et les difficultés rencontrées par les étudiants, m’aident aussi à progresser et à m’améliorer en tant qu’être humain. Je suis convaincu que les voyages, les rencontres positives et le partage de valeurs bienveillantes sont essentiels à un épanouissement sain et heureux, aussi bien individuellement que dans le collectif.
Le Petit Plongeur : Qu’est-ce qui te passionnes le plus dans ton métier ?
Je dis souvent qu’être instructeur d’apnée est un plaisir par procuration. Lorsque j’encadre des débutants ou des niveaux moyens je peux lire l’émerveillement et les étoiles dans leur regard. Cela n’a pas de prix.
J’aime aussi beaucoup enseigner aux futurs instructeurs. Un instructeur, de part son enseignement, n’est pas seulement une personne qui transmet son savoir. C’est aussi quelqu’un qui transmet ses valeurs et croyances à travers son enseignement. Si vous avez un instructeur qui n’est focalisé que sur la performance vous avez de grandes chances pour que les élèves suivent le même chemin en oubliant les autres dimensions fondamentales de l’apnée. Et c’est là qu’en tant que formateur d’instructeur, nous avons un rôle essentiel à jouer. Afin de conserver l’approche saine de cette magnifique discipline. Cela m’attriste aujourd’hui de voir que l’apnée est de plus en plus axée sur la performance et la compétition au détriment des valeurs spirituelles de celle-ci.
L’accessibilité de la plongée libre
Le Petit Plongeur : L’apnée est-il un sport accessible à tous ?
Il est dit que l’apnée est un sport à maturité tardive. Effectivement, la création d’adaptions physiologiques efficaces et durables prennent du temps. J’ai en tête une de mes inspirations qui se nomme Eric Lachiver et avec qui j’ai fait ma toute première séance d’essai d’apnée. Ce médecin généraliste de 62 ans a participé pour la première fois de sa vie aux championnats du monde AIDA cette année en apnée statique. Après plus de dix années de pratique, il continue toujours de progresser. Il n’est pas rare que j’accueille sur mes stages des personnes ayant la cinquantaine passée.
Le Petit Plongeur : Vivez-vous de votre passion pour l’apnée ?
Effectivement, je vis de la transmission de ma passion entre organisation de stages, coaching et entrainement à distance et intervention pour des entreprises. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre activité en parallèle même si je songe à d’autres projets professionnels depuis quelques temps.
Apnée & Lifestyle
Le Petit Plongeur : L’apnée, un véritable style de vie ?
Je ne pense pas que l’apnée soit un style de vie, comme n’importe quel autre sport d’ailleurs. Pour moi, le style de vie nous vient de nos envies, de nos aspirations, de nos valeurs, de nos croyances. L’apnée conditionne une partie de ma vie certes, mais je ne m’arrête pas qu’à cela. Si l’apnée m’a permis de progresser en tant qu’être humain et d’être plus en accord à moi-même, je tente simplement de faire des choses qui me permettent de m’épanouir et avec lesquels je suis en accords.
Le Petit Plongeur : Comment peut-on suivre tes actualités et des informations sur tes stages de formation ?
Aujourd’hui, j’utilise deux canaux. Un page Facebook de type athlète afin de communiquer sur mes actualités sportives, stages d’apnée et autres. Ainsi qu’Instagram où je publie des photos et un contenu différent de celui de FB.
Je suis également actuellement en train de travailler sur un site internet ! Ce dernier fera office de vitrine sportive professionnelle, et aura pour but ainsi de promouvoir mes prestations en entreprises notamment, et les formules de coaching en apnée statique que je propose déjà.
Le Petit Plongeur : En conclusion de cette interview, quel conseil donnerais à quelqu’un qui aimerait découvrir l’apnée ?
Je lui conseillerais de se rapprocher d’un club associatif dans un premier temps pour s’y essayer en sécurité, et d’une structure professionnelle par la suite pour se former.
Une petite mise en garde cependant : Une fois que l’on y a goûté il est difficile de s’en passer ! ?
Le Petit Plongeur : Merci Vincent pour le temps que tu nous as consacré !
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